Investissement durable, le nouvel ouest sauvage de la finance. – Impôts

Malgré les espoirs suscités par l'accord de Paris, les intérêts géopolitiques rendent difficile l'utilisation des leviers de l'État pour financer la transition écologique: par exemple, l'aide fournie par les pays développés pour l'adaptation et le développement. L'atténuation des effets du changement climatique est encore loin d'atteindre les 100 milliards de dollars par an annoncés depuis la COP17 (1).

Changer le modèle d'investissement

Cette apparente défaite est le résultat de l'histoire de la notion de finance verte, qui est longtemps restée presque exclusivement du domaine public, en référence à l'arsenal déployé par les Etats pour promouvoir la transition verte: les subventions à l'énergie. Rénovations renouvelables ou thermiques, taxes sur les carburants, établissement de marchés du carbone, création du Fonds vert pour le climat.

Aujourd'hui, face à son incapacité à respecter ses propres engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d'aide aux pays en développement, les pays développés changent de stratégie et s'adressent au secteur privé. Il ne s’agit pas seulement de trouver un financement, il s’agit de réorienter l’allocation des ressources disponibles. Par exemple, le Centre pour la finance et les investissements verts (organisme de l'OCDE, créé en 2016) a réaffirmé en novembre 2018: "La transformation fondamentale nécessaire à la transition exige la participation du secteur privé. Il est important que le secteur privé participe et dispose des outils appropriés et d’une orientation claire pour éclairer ses décisions en matière d’investissement. (2)

Depuis quelques années, le monde de la finance privée semble tirer parti des problèmes environnementaux. Les investisseurs se positionnent individuellement et collectivement par le biais d'initiatives telles que le Groupe d'investisseurs institutionnels sur le changement climatique.

Risque et avantage

Bien que certains secteurs de l'économie se préparent déjà à une perturbation de leur activité, la recherche n'est pas encore très avancée sur les impacts spécifiques de la transition écologique dans le secteur financier et sur les risques d'investissement (3). Le TCFD (4) divise ces risques en deux catégories: le risque physique (par exemple, les catastrophes naturelles exacerbées par le changement climatique) et le risque de transition, liés à l’évolution de l’économie mondiale face aux défis environnementaux (évolution de la demande, mise en œuvre). des normes plus strictes ou un prix global du carbone …).

À ce jour, les travaux sur la rentabilité comparée des investissements «responsables» réfutent clairement l'idée fausse qu'ils sont moins bénéfiques (5) que les investissements traditionnels. Il semble même que la performance financière à moyen et long terme (3 et 5 ans) soit corrélée au degré de durabilité des actifs (6). Au-delà des gains réguliers, il s’agit de la protection contre les pertes massives et les actifs immobilisés. Par conséquent, bien qu’elle soit difficile à mesurer, la notion de "risque de transition" est nécessaire aujourd’hui, non seulement en tant que point de vente pour les fonds dits "verts", mais également dans des institutions telles que le FMI (7). ).

Cette tendance dépasse la seule population d'investisseurs institutionnels: en France, la grande majorité des épargnants accordent une grande importance aux impacts sociaux et environnementaux dans les décisions d'investissement (8). Cette demande semble correspondre à la forte croissance des prétendus volumes d'investissement responsable et durable (9), malgré le manque de connaissance des produits étiquetés ISR ou TEEC (10).

Les difficultés de l'évaluation.

La demande croissante de prise en compte des dimensions dites "ESG" (environnement, social, gouvernement) dans les décisions d'investissement profite grandement au marché de la notation extra-financière, marché en pleine consolidation autour d'une poignée d'acteurs importants ( 11). Cependant, une prolifération impressionnante d'indicateurs et d'indices témoignant de la complexité de la réalité qu'ils tentent d'expliquer se développe.

Premièrement, les actifs concernés ont toute la variété offerte par la sphère financière et les disparités peuvent être surprenantes au sein d’une même classe d’actifs, en fonction de l’émetteur du titre ou de la norme adoptée. Alors, comment comparer deux obligations vertes émises en France et en Chine, dont la banque centrale a inclus les projets «charbon propre» dans sa liste de technologies éligibles pour les obligations vertes? Et comment qualifier le degré de durabilité d'une grande entreprise pour des activités ayant des impacts très différents (par exemple, Enel, qui produit des centrales nucléaires, renouvelables et thermiques)?

Comment mesurer l'alignement d'un actif sur la transition écologique?

Premièrement, il est nécessaire de spécifier le domaine qui prétend couvrir la finance verte: faut-il adopter une logique d'exclusion, par exemple en retirant le charbon d'un portefeuille d'actifs? Dans ce cas, à partir de quel seuil de chiffre d’affaires ou de capital investi est-il lié à cette activité? Devrait-il être limité à certains secteurs ayant des impacts bien connus, tels que l'énergie, ou remettre en question la responsabilité environnementale de tous les secteurs de l'économie? Comment placer des entreprises comme Danone ou Zalando? Devrions-nous nous limiter aux problèmes climatiques et à l’empreinte carbone ou envisager, par exemple, la préservation de la qualité de l’air? Évaluer uniquement les grandes entreprises, les agents financiers, les sociétés cotées …?

Nous avons ouvert avec le thème des métriques une vraie boîte de Pandore. Les thèmes abordés (climat, biodiversité, qualité de l'air et de l'eau, déchets …), l'inclusion de la chaîne de valeur (approche du cycle de vie), la stratégie de transition des entreprises: le plus grand nombre de degrés de liberté dans l'examen et la pondération des critères conduira à des décisions d'investissement radicalement différentes. Cette complexité explique la grande hétérogénéité des indicateurs fournis par les différentes agences de notation extra-financière (12).

Par exemple, la méthode de l'empreinte carbone est la plus répandue et la mieux maîtrisée: elle a permis de vulgariser les problèmes climatiques dans le monde de la finance. Cependant, ses limites sont maintenant marquées (13), ce qui remet en question les nombreux indicateurs et indices basés sur ceux-ci.

Vers l'émergence d'un cadre commun?

Face à la profusion et à l’interdépendance des facteurs décisionnels à l’origine d’un investissement responsable, les acteurs financiers peu formés, tels que le grand public, sont réduits à l’utilisation d’outils souvent difficiles à lire et dont la pertinence Ce n'est pas assuré. Toujours sous la pression de fournir des données à des agences de notation extra-financières, les entreprises ne sont pas satisfaites des services fournis, tant en termes de transparence que de méthodologie d'évaluation (14).

Avec l'article 173 de la LTECV15 en 2015, la France a été un pionnier en matière de communication extra-financière: le TCFD a suivi ses recommandations sur les rapports sur les risques climatiques en 2017, et enfin la Commission avec un plan d'action de financement durable pour 2018. L'un des principaux défis de ce plan est la mise en place d'un système de classification unifié (taxonomie) et des labels correspondants pour les produits financiers verts, afin de définir ce qui est durable et d'identifier les domaines dans lesquels les investissements peuvent avoir le plus grand impact. . Une taxonomie ambitieuse permettrait non seulement de sceller les atouts écologiques, mais également d'indiquer ceux qui ne correspondent manifestement pas à la transition écologique: des évaluations positives et négatives seront nécessaires16. Aujourd’hui, l’Europe semble sur le point d’éviter les écueils du greenwashing, après l’accord conclu en février 2019 entre le Parlement et la Commission, qui préconise la création d’une nouvelle génération d’indices «à faible émission de carbone». 17. Ils constitueront une alternative aux standards de référence actuellement sur le marché, qui sont critiqués par de nombreux spécialistes.

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(1) Le financement extérieur général a diminué de 12% au cours de la période 2013-2016, une baisse qui jette un sérieux doute sur la capacité de la communauté internationale à atteindre les objectifs de développement durable pour 2030. OCDE, Perspective mondiale sur le financement du développement durable. 2019, novembre 2018.

(2) Centre pour la finance et les investissements verts, 5ème Forum de l'OCDE sur la finance verte et les investissements RÉSUMÉ, 13-14 novembre 2018 – Paris, France.

(3) Aspinall, N.G., Jones, S.R., McNeill, E.H., Werner, R.A. et Zalk, T. (2018). "La durabilité et l'examen du système financier de la littérature 2015". British Actuarial Journal, 23 doi: 10.1017 / S1357321718000028 Dietz, Simon, Bowen, Alex, Dixon, Charlie et Gradwell, Philip (2016) "La valeur climatique en péril". des actifs financiers mondiaux. Changement climatique naturel ISSN 1758-678X.

(4) Groupe de travail sur la publication d'informations financières liées au climat, groupe de professionnels du monde de la finance, ainsi que conseil en matière de gestion et de conseil aux entreprises, créé par le Conseil de la stabilité financière du G20 à la fin de 2015 à la COP21: Recommandations du groupe de travail sur les informations financières relatives au climat, juin 2017.

(5) Forum économique mondial: Rapport sur l'investissement vert: Moyens de débloquer des financements privés pour la croissance verte, 2013.

Max Morgane, "Performance financière: l'ISR tient ses promesses?", Invest Sustainable Edition mars-juin 2019.

Global Impact Investing Network: données sur la performance financière des investissements à impact, novembre 2017.

Novethic, Marché européen des fonds verts 2018, avril 2018 – Europe: Promesses des fonds d’actifs verts non garantis, janvier 2019.

(6) BNP Paribas Securities Services et Sycomore AM – Le risque de transition est-il important? Forum international sur les risques financiers, Institut Louis Bachelier, Paris, 18 mars 2019.

(7) Voir le discours de Tobias Adrian (conseiller financier et chef du département Marché monétaire et marchés de capitaux): "Tests de résistance pour la transition vers une économie à faibles émissions de carbone", à l'occasion de l'atelier conjoint du Fonds monétaire international. du FMI et de la Nederlandsche Bank dans des tests de résistance aux risques liés au climat – 15 avril 2019.

(8) Enquête annuelle plus élevée pour le Forum pour l'investissement responsable (FIR) et l'agence Vigeo Eiris Amundi, baromètre de la gestion d'actifs RCP: Baromètre Deloitte: Que pensent les épargnants et les conseillers en investissement responsable? en 2019?, 16 avril 2019: étude menée avec OpinionWay et Spoking Polls.

(9) Entre 2013 et 2017, les fonds verts européens ont plus que doublé en quatre ans. Novethic, European Green Fund Market 2018, avril 2018 – Europe: nantissements de fonds d'actifs verts non garantis, janvier 2019.

(10) TEEC: label du gouvernement français Transition énergétique et environnementale face au climat (lancé en 2016) ISR: label du gouvernement français Investissement socialement responsable (lancé en 2016) Sources: voir note de bas de page 11.

(11) Novethic: ODD: nouvelle approche des agences de notation extra-financière, 2018.

(12) Dana Investment: différences entre les scores ESG des fournisseurs de données, octobre 2018.

(13) Les Echos, no. 22842 – Gestion d'actifs, mardi 11 décembre 2018 654 mots, p. 34 – "Investissement durable, L'énigme du calcul d'impact environnemental" – Sophie Rolland.

(14) Initiative Medef-Afep-Cliff-C3D sur les relations entre les entreprises et les organismes de notation non financiers. Résumé des résultats et des recommandations – janvier 2019.

(15) L'article 173-III de la loi sur la transition verte et la croissance verte impose aux grandes entreprises de faire rapport chaque année sur les risques financiers liés aux effets du changement climatique et de décrire les mesures prises par l'entreprise pour les réduire. tandis que le paragraphe IV étend le champ de ses activités pour couvrir des impacts climatiques plus larges (champ d'application 3). Le paragraphe VI oblige les principales institutions financières (sociétés d'assurances, mutuelles, organismes de pension, etc.) à publier des informations sur la manière d'intégrer les dimensions ESG et de gérer leur risque climatique.

(16) France Culture, entendez-vous l'écho? de Tiphaine de Rocquigny – "Les mirages de la finance verte" (58 min) – 22 mars 2019

(17) Communiqué de presse de la Commission européenne – Financement durable: la Commission se félicite de l'accord sur une nouvelle génération de critères de référence "faibles en carbone". – Bruxelles, le 25 février 2019.

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